Avec « Endless Summer » la galerie Sabine Bayasli ouvre ses portes à 8 jeunes artistes dont les œuvres, en apparence estivales et solaires, cachent les impénétrables secrets de l’âme humaine. Par ses choix pertinents l’exposition joue la carte d’une inquiétante séduction.
Plusieurs galeries ont décidé de défier le diktat du mois d’août qui voudrait que Paris soit une capitale morte. Non tout le monde n’est pas en Bretagne ou dans le Lubéron… L’art ne saurait être l’apanage d’une année scolaire et encore moins pris en otage par des transhumances saisonnières.
Sabine Bayasli dont la nouvelle galerie occupe un grand espace aéré, jouant sur un léger dénivelé a bravé cet été post-confinement contre toute attente. Le lieu flambant neuf a une âme, un je ne sais quoi de solaire qui tient indéniablement à la personnalité de la directrice du lieu.
La crise pandémique a détruit des vies, déstabilisé des familles, fragilisé des êtres et remis en cause un ordre établi. Ceci étant dit et consciente que rien n’est fini la galeriste propose une exposition ensoleillée sans pour autant tomber dans un opportunisme circonstanciel.
« Endless Summer » fait la part belle à des jeunes artistes dont le travail dénote de fortes personnalités, des mises en abyme mentales et une maîtrise indéniable de leur rapport à la création. Il y a là un renouveau dans la façon d’aborder l’art quel que soit le procédé, les thématiques, le choix des couleurs et si la diversité est au rendez-vous le fil conducteur est ce que chaque œuvre sous-tend.
Serait-ce l’été de tous les dangers ? Un « Soudain l’été dernier » pictural, délicieusement vénéneux ? A l’instar du film de Mankiewikz, l’art de la dissimulation s’insinue dans des œuvres tranquilles. Ne dit-on pas que les lieux les plus calmes sont les plus dangereux, que les visages les plus avenants cachent parfois des individus perturbés ?
On est dans un entre-deux permanent, un jeu troublant entre la quiétude et l’imminence d’un fait improbable, inopportun. Là est la force, le point commun et invisible qui lie chaque œuvre entre elle faisant de cette exposition une des plus passionnantes de cette période. Pas de tape à l’œil, pas d’esbroufe ou de concession à des modes. Chacun des artistes affiche des choix affirmés avec une parfaite maîtrise du propos et de la technique qui lui sied.
TROIS LAUREATS DEJA REMARQUES
Si « Endless Summer » s’ouvre sur une scénographie alternant œuvres et artistes, ambiances diaphanes ou couleurs saturées, chaque créateur est mis en avant avec un souci d’équité, un équilibre subtil et réfléchi.
Parmi eux trois artistes ont été distingués par des prix ou des engagements qui honorent la jeune création. Julien Déprez vient d’être nommé membre de l’Académie de France pour une résidence à la célèbre Casa Velazquez à Madrid. Karolina Orzelek vient quant à elle d’obtenir le prix Beaux-Arts / Sisley décerné par l’ENSBA et la Fondation Sisley. Enfin David Weishaar a été finaliste des Swiss Art Awards 2020.
Leurs démarches bien que diamétralement opposées ont ceci de commun qu’elles parlent d’un quotidien transfiguré sans idyllisme ni métaphores autres que ce qui se rapporte à nos cadres de vie.
Si Julien Déprez s’attache à des objets aussi simples qu’un store ou un banc il les transcende pour leur donner une dimension esthétique et une âme assez étonnantes. L’artiste est à l’origine graveur mais également ingénieur. C’est le point de rencontre entre l’acte de création et une technicité d’une grande précision. Il a conçu et programmé des «machines» qui déposent la peinture sur des compositions qu’il a préalablement dessinées. Le processus est intéressant et le résultat sur la toile d’une surprenante beauté. On pourrait croire à du pointillisme «technologique» qu’un Seurat n’aurait pas renié.
La nature ayant horreur du vide, celle de Julien Déprez est urbaine, aux formes et couleurs saturées, parfois diffuses distillant ci et là des brumes opaques, des dégradés qui portent leur part de mystère. Ici l’ombre et la lumière se confondent tout en rendant un hommage à un impressionnisme totalement réinventé, contemporain et également futuriste.
Les hommages ne s’arrêtent pas là car l’univers de Karolina Orzelek distille par petites touches un réalisme qui flirte avec David Hockney et un pop art dont on aurait prélevé les teintes les plus vives. Ici aussi le jeu de l’ombre et de la lumière prend un aspect plus énigmatique. Il règne dans ces toiles un silence assourdissant, un sentiment de calme étourdissant quasiment menaçant symbolisé par d’improbables contrastes de couleurs. Les cieux sont mauves ou verts, les sols jaunes ou rouges sans que cela nous choque.
La force de cette artiste est de nous entraîner dans des paysages ou des maisons inhabités, là où l’intranquillté tient un langage cinématographique, fantasmagorique. Karolina Orzelek dit admirer Edward Hopper et il n’y a rien d’étonnant à cela. L’artiste arrive à nous happer dans un happening aussi délétère que mystérieux. Chaque oeuvre s’inscrit comme une histoire, un point de départ vers une destination inconnue. Le thriller pictural de la jeune créatrice ne peut qu’envoûter et nous tenir en haleine.
Karolina Orzelek bouscule nos zones de confort et déroule son univers dans un Twin Peaks où chaque angle, chaque point de vue de paysage, de nature sont traités avec un tel sens du détail et de la couleur que l’image en devient d’une beauté délicieusement vénéneuse. Sa peinture marque nos esprits d’une empreinte tellement séduisante et insidieuse qu’elle ne peut pas laisser indifférent. C’est assurément une artiste dont il faudra suivre les projets à venir.
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Cet «Endless Summer» résonne comme un renouveau, apporte du souffle et brille sous les sunlights des projecteurs parisiens. Il va dans le sens non des effets de mode mais d’une démarche de prospection qui trouve sa réponse dans des prises de risques, de vraies découvertes. La scène parisienne a besoin de se renouveler et de casser avec une routine où chacun semble jouer la même partition, celle de valeurs sûres qui finissent par scléroser un marché fermé à la jeune création.
En cela la Galerie Sabine Bayesli, affirme et confirme sa différence et joue un collectif pluriel qui tranche avec l’air du temps. La douceur d’un été intranquille prend ici toute sa signification.